10. Mais si on se connait, souviens-toi - GP

.

Sûr de moi

Gérald P. 

C'était Servane, je l’ai reconnue, à ses yeux, bleu aigue marine, grands comme des lacs, avec des cils d’herbes folles. Elle m’a regardé, s’est retournée, a  tapoté une pile de chemisiers, est partie derrière son comptoir.

«Bonjour Servane.

-Bon… bonjour… comment...?

-Je suis Gérald, nous nous sommes rencontrés en vacances, en 1978, à la plage Saint Clair.

-Possible… possible. C’est… très loin. Mais excusez-moi, j’ai à faire.

-C’est à moi de m’excuser Servane. Je repense à toi depuis douze ans, surtout que… je me suis… mal conduit.

-C’est le passé Gérald. On avait dix-huit ans, c’est ça ? On s’est revus à Paris, une fois non ? J’y avais… Enfin… c’est le passé, et puis j’en ai vu d’autres tu sais !

-Après Paris, j’aurais dû te dire franchement que c’était fini, mais je t’ai laissé m’appeler et appeler. C’était lâche… Je veux me faire pardonner.

-Gérald, j’ai à faire. Mais juste pour que tu saches. Je me suis mariée et ça n’a pas marché. J’ai pas eu d’enfant et j’ai divorcé et je peux te dire qu’un divorce, ça te plombe.»

Elle a fixé ma main gauche, mon alliance.

«Excuse-moi, Gérald, y a du monde.»

Je suis sorti du magasin. Je me suis assis au café d’en face. Servane avait gardé ses cheveux châtain à la garçonne, j’y passais mille fois mes doigts, son nez en trompette, je le mordais pour l’énerver, sa bouche fine cerise, je l’embrassais à l’étouffer. Sur la plage de Saint Clair, des soirs et des soirs. Douze ans plus tard, je voulais son corps. Il était resté le même, le corps d’une panthère.

A huit heures dix, Servane fermait. Je lui ai dit : «Je t’invite au restaurant, et puis...» Elle a accepté, en levant les yeux au ciel.  On s’est racontés nos vies. Elle vivait seule, toujours sans enfant. J’ai osé un «Je t’ai aimée… énormément, et j’y repense souvent, et je pense qu’on est contents de se revoir.

-Oui… oui».

J’ai tout fait pour que le temps s’éternise, promenade, apéritif, dîner, café, alcool. A un moment elle est allée téléphoner.

En la raccompagnant chez elle, j’ai regardé l’heure «Mon dieu, je n’ai plus de RER. Tu peux me loger n’est-ce pas.

-Oui… oui.» 

En bas de chez elle, une amie d’attendait. C’était elle le coup de fil. Elles ont dormi dans le grand lit, moi dans le canapé.

.